Au commencement, le symptôme
En réponse aux questions d’Anne Christine Fournier, le psychiatre et psychanalyste Pierre Lembeye, à partir du symptôme, trace le portrait de notre société. Pour lui, peu importe de traiter le symptôme, seul compte le sens qu’on y apporte. Il n’est pas ici seulement question de pratique thérapeutique mais aussi de questionnement sur la liberté, le courage, l’éthique… En parcourant les mythes et la philosophie, l’auteur interroge l’humanité et n’hésite pas à secouer les théories psychanalytiques : « Je suis effectivement critique vis-à-vis de Freud et de l’artillerie lacanienne qui m’apparait souvent au sommet de l’absurde. Je ne suis ni freudien ni lacanien, je peux même dire que je ne suis pas psychanalyste mais que je m’essaie à être thérapeute. […] ». Il critique ce que son confrère, François Roustang, dénonçait déjà, à savoir l’abyssale distance entre pratique et théorie caractérisant l’exercice des psychiatres et des psychanalystes. Il prône le courage et la remise en question des doctrines. « Je préfère résonner avec le symptôme plutôt que raisonner sur lui […] Je donne la primeur à la pratique plutôt qu’à la théorie. » Tout aussi critique vis-à-vis de l’approche scientifique, il préfère s’appuyer sur une perspective phénoménologique tenant plus compte de la dimension sensible et corporée de l’homme que d’une pseudo-scientificité dans laquelle il ne voit qu’une vaste escroquerie.
A la fin de son livre, Pierre Lembeye, va jusqu’à se risquer à une analogie entre l’économie d’un humain et l’économie générale rappelant ainsi qu’un sujet humain est un ensemble de cycles […] Son activité globale est elle-même cyclique et lui impose des phases d’expansion auxquelles succèdent des moments dépressifs ou de faible activité. […] Cette cyclicité est à constater plutôt qu’à contester. Faisant un parallèle entre les crises que peut rencontrer un individu et celles provoquées dans nos sociétés, le médecin Lembeye insiste sur le fait que la solution apportée et qui a marché une fois ne sera pas forcément celle qui conviendra comme remède à une suivante.
Ainsi, il convient alors pour les responsables, gouvernants comme thérapeutes, de laisser exister la crise pour l’interpréter sur le mode d’une recréation, d’un renouvellement. Il faut voir dans le symptôme un acte créatif.
Dans cet ouvrage, le médecin psychiatre répond à la question fondamentale : Dans ce monde perturbé, face à la mondialisation, où se situe la place de l’homme et comment affirmer son identité ? Sa réponse prenant appui sur les textes de Lévi-Strauss, Martin Heidegger ou encore Norman Mailer (1957) qui voyait déjà l’émergence massive du psychopathe et de l’ultra-individualisation, tient dans cette volonté à aller au-delà du symptôme. Et l’auteur de nous rappeler, à l’instar des grecs, l’importance du cœur : prendre le risque de s’extraire d’un système de pensée enfermant, rester sensible à la multiplicité du monde, vif, curieux, insatisfait, critique devant ses propres constructions, cela se fait avec le cœur, le courage.
Je ne peux que partager avec l’auteur cette belle idée : « Le courage, pour un thérapeute, c’est de mettre en crise sa propre doctrine, restituer à la pratique sa primeur et prendre en compte les objections. ». Le psychiatre rappelant que cet exercice vaut pour tout autre domaine.
Au commencement, le symptôme n’est pas un livre facile mais il offre un autre horizon de lecture pour qui est en quête d’exigence et souhaite apporter un autre sens aux crises qui traversent l’homme et le monde.
Pierre Lembeye est aussi l’auteur de Nous sommes tous dépendants (Odile Jacob).
CDG