Les mots des autres

Il arrive que des personnes, lors d’une interview, lancent une phrase magnifique, porteuse de sens, une phrase que l’on voudrait s’approprier. J’ai pris pour habitude, depuis des années, de noter les réponses intelligentes, fines, subtiles de ceux qui accordent des interviews. Je garde dans un fichier ces phrases qu’il m’arrive de relire. Il fut une époque où je m’arrêtais sur une phrase de film, je me souviens d’un film dont j’avais noté une grande partie des dialogues, c’était un film de Rohmer. J’ai toujours aimé les mots qui viennent frapper là où ça résonne. C’est en cela que les psys et les écrivains se rejoignent, ils jouent sur les mots. Et, à partir de là, ils formulent une musique qui donne le ton.

La phrase donnée comme ça, sous forme de réponse à une question ou juste parce qu’elle traverse l’esprit est parfois un cadeau. En deux, trois lignes, elle vous résume une idée, une pensée et vous éclaire pour le reste de la journée. Une petite phrase peut en dire beaucoup plus qu’un grand livre. Il y a des gens doués pour les mots. A des années d’intervalle, j’ai relevé des phrases de mêmes personnes. Il y a des actrices particulièrement douées, qui savent jouer avec les mots.

Pour résumer, on pourrait affirmer qu’il y a deux catégories de gens à l’aise avec les mots : les poètes et les femmes. Les hommes ordinaires ne sont pas portés sur la chose. Ils sont dans les actes et les démonstrations, pas dans la syntaxe. Les hommes font la guerre, les femmes cherchent à faire la paix avec les mots. Elles font aussi l’amour avec les mots. Dans les livres, les femmes savent entrelacer la langue et le désir.

Il y a des acteurs, des actrices, des écrivains, des réalisateurs, des journalistes… beaucoup plus rarement un homme politique à avoir quelques fois distillé de bons mots. Je ne vous dirai pas qui a dit quoi, c’est mon jardin secret des mots.

Les jolis mots, on voudrait les garder alors on les enrobe dans des lieux secrets, et puis de temps à autre on les ressort. Juste pour le plaisir des mots. On devient un collectionneur de mots. Ces mots sont agencés de telle façon qu’ils ont trouvé en nous une zone d’habitation. La collection de ces joyaux est conservée précieusement, jalousement.

Alors, il m’arrive de distribuer une phrase par ci, par là, comme on offre une fleur à un ami. Ce sont des fleurs qui n’ont pas de saison, il faut juste savoir les cueillir à temps…

CDG