Le paradoxe de l'écrivain

Dans un entretien, Marguerite Yourcenar nous parle du paradoxe de l'écrivain (être soi et sortir de soi) et aussi du devoir de l'écrivain, de ce qu'il faut faire ou ne pas faire...

S'appuyant sur la psychologie orientale, notamment le Tao : 'Ecrire un grand livre c'est mettre toute l'attention dans une seule action..'.

Et encore, à partir d'un texte tantrique :

'Que l'esprit bloqué sur une chose ne la quitte pas trop vite pour s'orienter vers une autre...'

Marguerite Yourcenar nous rappelle que nous ne sommes fermement établis dans rien du tout... 'il ne faut jamais oublier cet élément d'instabilité de base'.

'Derrière chaque être il y a toutes les possibilité en lui qu'il n'a pas encore révélées, qu'il ne révélera peut-être jamais et qui l'enrichissent sans qu'il le sache.'

'Méditer sur son propre soi en forme de firmament illimité'

'L'écrivain, en réalité, est très humble... chaque fois que l'écrivain termine un ouvrage il a la stupeur qu'il lui été accordé d'aller si loin de soi dans un domaine qui est celui de la vie (...)'

Mais plus important encore nous dit-elle : 'l'écrivain doit vivre...'

'Quelqu'un qui va s'enfermer pour écrire un livre est sûr d'avance que ce livre sera mauvais...' car, selon Marguerite Yourcenar, l'écrivain doit rester sur une ligne de mouvement vital.

'Bloquer tout ce qu'on a appris de la vie à travers ses personnages... c'est seulement en ayant fait ou subi quelque chose qu'on apprend à voir ce que les choses sont... '.

'Pourquoi un écrivain choisit-il certains sujets plutôt que d'autres ? Pourquoi y-t-il une continuité dans son oeuvre ? C'est très difficile à dire...Très souvent on nous dit qu'une grande partie vient de l'influence des livres lus jeune... Et plus un écrivain est cultivé, plus il a lu (...) il en arrive à faire de toutes ces couleurs mélangées une espèce de grille sur laquelle ressort sa propre individualité (...) je ne crois pas aux influences dans l'oeuvre des très grands écrivains, ils sont étrangement uniques parce qu'ils ont su tirer étrangement partie des circonstances, des faits et des émotions qui avaient été les leurs.'

'Tout grand écrivain est inimitable'

'Pour l'écrivain, chaque livre est une aventure'

'Il faut que son langage soit absolument fidèle à la réalité'

'Il faut être clair... l'écrivain qui ajoute une obscurité de mots, pour faire beau, intéressant (...) est tout à fait en dehors de sa vocation d'écrivain, quand on écrit, c'est pour être compris (...) il s'agit d'être d'une clarté presque enfantine.'

'Tout en consacrant ses forces à son travail, il faut toujours se rappeler que ce n'est pas important, au fond, que le monde se passera très bien de vous, que l'univers va continuer à tourner et c'est le jour où l'on a ce sentiment-là (...) ça m'intéresse moi, ça intéresse un certain nombre de gens, du moins nous l'espérons, mais l'immensité du monde n'en sera pas changée (...) et je vis avec une totale liberté à l'intérieur de ces limites, de mes modestes limites.'

Il y dans ces paroles de Marguerite Yourcenar, l'empreinte des lectures orientales et la sagesse d'une dame qui a compris que l'écriture ne peut être tout, c'est une activité ou un art dont il faut savoir s'extraire pour mieux l'intégrer et se détacher aussi pour qu'il ne donne pas à celui qui écrit un sentiment glorieux. L'écrivain doit donc être dans le monde et peut-être aussi un peu hors du monde, mais pas au-dessus du monde. Bref, il doit rester modeste quelque soit sa dimension.