L'histoire de Maren Sell et Yann Andrea
C’est l’histoire d’un homme qui aimait les femmes de lettres. La première fut Marguerite Duras. On connait Yann Andréa parce qu’il fut le dernier compagnon de Duras, on le connait plus comme cela que comme écrivain. Même s’il a écrit, notamment Cet amour-là, justement sur leur histoire. L’histoire d’un jeune homme qui rencontre une dame déjà âgée, écrivain, qui voudra en faire son dernier amant…
Marguerite lui avait demandé ‘Yann, si je n’avais écrit aucun livre, est-ce que vous m’aimeriez ?’. Il n'avait pu répondre. Cet amour-là lui résistait. Yann avait écrit plus tard ‘Elle sait que ce n’est pas possible, que je ne suis pas prenable […] et pourtant elle insiste […] comme une sorte de défi héroïque et vain.’ Cet homme-là ne pouvait se donner entièrement à une femme.
Des années après la mort de Duras, l’histoire se répète avec son éditrice, Maren Sell. On a l’impression qu’il s’agit à nouveau d’un amour impossible, d’un amour où la femme ne reçoit pas l’homme complètement. La femme est alors aux prises avec la frustration. Un amour qui ne se donne pas tout à fait, en tout cas pas comme la femme serait en mesure de vouloir le recevoir. Alors, l’amour se fait avec les mots, les mots tissent le lien, ce lien qui trace un mouvement à travers les lignes.
Les deux femmes, plus âgées, ont mené Yann Andréa à l’écriture. Elles ont compris, qu’il fallait en passer par là, par le livre, ce troisième élément indispensable. Parce qu’il y a l’amour, et que le désir d’écrire peut passer par l’amour et que l'écriture, c'est aussi une histoire de désir.
’ L’autre se dérobe toujours et nous nous débattons à le tenir près de nous, à l’embarquer dans un jeu de séduction, nous nous acharnons à le convaincre jusqu’à écrire des pages et des pages et cela nous fait dépenser une folle énergie.’
Avec Maren Sell, le livre se fera plus tard. Dix ans, elle avait dit. Et puis, le temps passé, elle a rassemblé les feuilles glissées sous le paillasson par lui (des textes courts) qu’elle a mêlées à son récit. Elle lui aura demandé s'il voulait qu'il en soit un livre. Et il avait répondu par l'affirmative.
La plume est belle pour dire ce nouvel amour pour un homme qui veut écrire mais n’y arrive pas. Enfin, si peu. Yann passe plus de temps au Flore à boire des vodka-orange. Boit-il pour noyer sa panne d’inspiration ? Ou parce qu’il est inhibé dans ses sentiments ? Yann Andréa, si particulier, fuyant, faisant un peu penser à un enfant dans cette manière de se laisser porter… c’est peut-être pour cela que ces deux femmes ont ressenti, l’une après l’autre, cet amour-là.
A la mort de Duras, Yann Andrea avait 43 ans. Il était allé vivre pendant deux ans dans un petit studio, qu’elle lui avait légué et puis, comme il déprimait, il était retourné chez sa mère. Des années plus tard, avec Maren Sell, il publiera Cet amour-là. Il est mort à l’âge de 61 ans, en 2014, chez lui, à Paris.
L’histoire (Ed. Pauvert), sorti en 2016, relate la rencontre de Maren Sell et Yann Andrea autour de Marguerite Duras et de l'écriture.