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Lettre à D. Histoire d'un amour

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Lettre à D. Histoire d'un amour

André Gorz, journaliste et philosophe, rendait dans Lettre à D. un dernier hommage à celle qui l’a accompagné pendant près de soixante ans. D comme Dorine qui en a 82 lorsqu’il prend la plume une dernière fois afin de lui clamer son amour. « Tu vas avoir 82 ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais ».

Sans doute a-t’il aussi cherché, dans sa lettre, à remettre du sens à cette histoire comme il l’écrit dans les premières pages. Le sens de sa vie, car sans cette compagne, aurait-il fait le même chemin ? A travers ce texte court on comprend combien cet amour l’a porté « Avec toi j’étais ailleurs, en un lieu étranger à moi-même. Tu m’offrais l’accès à une dimension d’altérité supplémentaire » et combien il peut être transcendant « la passion amoureuse est une manière d’entrer en résonnance avec l’autre, corps et âme, et avec lui ou elle seuls. Nous sommes en deçà et au-delà de la philosophie. »

André Gorz rappelle les moments difficiles matériellement du début, lorsque sa compagne enchaînait les petits boulots, leur découverte de Paris, leur engagement dans l’action militante et la façon dont celle qui partageait sa vie acceptait ce que suppose de vivre avec un écrivain « Tu t’étais unie, disais-tu, avec quelqu’un qui ne pouvait vivre sans écrire et tu savais que celui qui veut être écrivain a besoin de pouvoir s’isoler, de prendre des notes à toute heure du jour ou de la nuit […] Aimer un écrivain, c’est aimer qu’il écrive, disais-tu. ‘Alors écris !’ ». Il parle de celle qu’il a aimée et mais aussi de lui, à travers elle, de son rapport à l’écriture, comme à propos de cet essai (Le Traitre - 1958) et de la façon dont sa publication l’avait changé « Ce n’est pas d’écrire qui m’a permis de changer ; c’est d’avoir produit un texte publiable et de le voir publié. Sa publication a changé ma situation. Elle m’a conféré une place dans le monde… ».

La vie du couple et l’œuvre de Gorz furent entremêlées. Le philosophe et sa femme, Dorine, marchèrent côte à côte, elle, malade, mais toujours à ses côtés, lui, reconnaissant combien elle avait pu contribuer à ce qu’il était devenu « Tu n’as cessé de m’encourager à écrire. » et se sachant dans l’incapacité de poursuivre sans elle « Je ne peux m’imaginer continuant à écrire si tu n’es plus. Tu es l’essentiel sans lequel tout le reste, si important qu’il me paraisse tant que tu es là, perd son sens et son importance. »

Un an plus après avoir conclu cette Lettre à D. par ses mots « Nous aimerions chacun ne pas avoir à survivre à la mort de l’autre. », André Gorz se suicidait en compagnie de sa femme.

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