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Le président T.W. Wilson : Portrait psychologique

Publié le par CDG

Freud nourrissait une aversion pour le président Thomas Woodrow Wilson dont le portrait rédigé en collaboration avec le diplomate William Christian Bullitt, n’a été publié (1967) que trente ans après la mort de Freud.

Ainsi que l’explique Gérard Miller (psychanalyste) dans sa préface du livre Le président T.W. Wilson (Ed. Payot), cet ouvrage n’a pas vraiment été bien accueilli dans l’univers de la psychanalyse. Ce livre n’est d’ailleurs pas très connu des milieux psychanalytiques alors qu’il reste un classique aux Etats-Unis.

Pour quelles raisons Freud, qui n’a pas fait preuve dans ce portrait d’une neutralité bienveillante, s’était-il penché sur le cas d’un président des Etats-Unis qui fit preuve d’une politique interventionniste ?

Freud et Bullitt s’étaient rencontrés à Berlin où ils devinrent amis avant que celui qui fut ambassadeur à Paris ne permit au psychanalyste de quitter l’Autriche. Freud appréciait la compagnie du diplomate qui fut d’abord conseiller du président Wilson avant d’être nommé plus tard ambassadeur par Roosevelt.

Le parcours du 28ème président des Etats-Unis repris dans ce livre sous la lumière psychanalytique et écrit entre 1930 et 1932 est une composition à la fois analytique et politique. L’étude du Président Wilson relate l’ascension d’un homme, de sa plus tendre enfance jusqu’à la présidence des Etats Unis de 1913 à 1921. Rappelons au passage que celui qui pensait avoir été choisi par Dieu pour mener sa mission fut le promoteur de la Société des Nations et reçut le Prix Nobel de la paix en 1919.

L’intérêt de Freud pour Wilson, était-il dû au fait qu’ils étaient tous deux nés la même année (1856) ou à la volonté de mettre à jour ce qui peut pousser un homme vers son destin ? Comment Freud a-t-il pu avoir envie d’écrire sur un personnage qui suscitait chez lui autant d’antipathie (« La personne du président américain m’a été, dès le début, antipathique, et cette aversion n’a fait qu’augmenter avec les années, à mesure que j’en savais davantage sur lui… » Freud) ?

La personnalité du président était-elle à ce point inquiétante qu’elle put avoir des conséquences fâcheuses sur l’orientation du monde ?

Wilson qui souffrait d’anxiété et se disait à la fois fier et sensible […] capable d’amours et de haines passionnées («Il n’est ni agréable ni facile d’avoir des passions fortes […] ce qui me sauve c’est d’être aimé »)(p81) était en proie à des somatisations diverses (migraines, maux de ventre…) et des accès de dépression récurrents. Mais ce qui apparaissait aux yeux de Freud comme dangereux tenait dans cette tendance, pour un président, à se prendre pour Dieu et se présenter en sauveur du monde.

Son analyse reflète les liens entre un homme sous l’emprise d’un Père tout puissant (Dieu) (… jusqu’à la fin de sa vie il se sentit en communication directe avec Dieu. Il avait l’impression que Dieu l’avait choisi pour une grande tâche)(p64) et la façon dont une libido bien orientée peut être mise au service d’une carrière prometteuse (‘S’il n’avait pu obéir quotidiennement à Dieu il se serait peut-être réfugié dans la paranoïa […] et, au lieu de devenir le maître de la Maison- Blanche, il aurait pu être le pensionnaire d’un asile d’aliénés.’) (p126).

L’histoire montre combien Wilson, fils de pasteur, était fortement influencé par son père dont l’image parfaite à ses yeux s’apparentait à celle d’un Dieu tout puissant (cf. surmoi) et l’empêchait de parvenir à être satisfait longtemps d’un succès.

Si l’on en croit l’interprétation donnée par Freud, le président Wilson qui fut à l’origine du traité de Versailles, aura peut-être, par l’intermédiaire de ce même traité de paix, enclenché un processus irréductible vers la deuxième guerre mondiale.

L’Amérique aurait-elle mis à la tête du pays un fou se prenant pour le Messie ?

On ne saurait établir de diagnostic psychologique à partir d’une seule étude telle que celle entreprise par Freud et l’ancien collaborateur de Wilson, William C. Bullitt. Au regard de l’histoire de l’un et de la déception de l’autre, la vision a pu se montrer partisane.

Si l’on ne peut répondre de façon affirmative à la question du rapport qu’il peut y avoir entre la folie et l’accession au pouvoir, on peut se demander comme le fait G. Miller à la fin de sa préface (p24) : ‘En se choisissant de tels chefs, que veut le peuple ?’

La réponse tient peut-être dans une phrase extraite du livre, sans doute écrite par Freud (p209) :

‘… du point de vue de la « réussite dans la vie », il peut être avantageux d’avoir des troubles psychiques. […] le caractère névrotique de Wilson était bien adapté aux exigences de son temps. L’Amérique, puis le monde, avaient besoin d’un prophète qui s’exprimât comme s’il était le porte-parole de Dieu sur la terre. […] si son narcissisme le rendait antipathique en tant qu’être humain […] si l’intérêt excessif qu’il prenait aux discours était quelque peu ridicule, il lui donnait la possibilité d’entraîner les foules par sa parole.’

Un livre sans doute plus passionnant pour les férus de géopolitique, plus frustrant pour les amateurs de psychologie. On comprend mieux, à la lecture, pourquoi les milieux psychanalytiques se sont montrés méfiants à l’égard de cet ouvrage dont on ne peut vraiment affirmer quelle part est l’œuvre de Freud.

CDG

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