La femme à part
A travers ses déambulations dans les rues de New York, Vivian Gornick revisite sa vie dans La femme à part (Rivages). Amitiés, amours, littérature… elle livre des anecdotes qui ont jalonné son existence et nourri sa pensée, celle d’une femme libre.
Dans un premier temps, se présente son ami Léonard, gay à l’humeur morose, avec lequel elle a depuis vingt ans des rendez vous réguliers (« … Leonard et moi nous retrouvons une fois par semaine pour une promenade, un dîner et un film, […] Mis à part pendant les deux heures passées au cinéma, il est rare que nous fassions autre chose que parler. […] Nos conversations sont plus satisfaisantes que toutes celles que nous avons pu connaître »). Si les deux amis ont en commun un certain pessimisme, ils ne sauraient manquer leur conversation hebdomadaire et, même s’ils ne parviennent pas toujours à se soutenir, une vraie complicité les rassemble (« Il comprend par osmose ce que je dis »).
Partageant un même sentiment d’échec, de défaite on pourrait avancer que Vivian Gornick a trouvé en Léonard cet ami idéal à défaut d’avoir trouvé l’homme idéal. Dans son ouvrage qui ne se présente ni comme un roman ni comme une auto-biographie le thème de l’amour est omniprésent et l’auteur n’hésite d’ailleurs pas à dire qu’elle a passé dix ans à chercher, non pas un mari car ni le mariage ni la maternité ne l’ont jamais intéressée, mais l’homme idéal, le Prince charmant… l’Amour avec un grand A (« … l’amour est l’intensité suprême, l’unique exaltation qui ait du sens. »)
Le récit est parsemé de rencontres et d’anecdotes qui parfois prennent des allures littéraires, ramenant à l’intériorité de Vivian Gornick, ainsi lorsqu’elle raconte l’histoire de la relation d’amitié entre Henri James et l’auteur Constance Woolson ou encore celle de l’écrivain Seymour Krim qui mit en scène sa déprime pour créer sa prose tout en ayant du mal à transformer ses fantasmes en réalité… jusqu’à ce qu’il finisse par écrire un essai réussi Pour mes compagnons d’échec. Hormis le fait de trouver le grand amour il y avait sans doute chez Vivian Gornick l’ambition d’écrire un grand livre (« … le plus souvent, je rêvais de l’avenir – de ces lendemains où j’écrirais un livre important, où je rencontrerais le compagnon de toute une vie, où je deviendrais cette femme de caractère qu’il me restait à devenir. ») d’où le parallèle que l’on peut faire de sa proximité avec Seymour Krim.
Du sentiment d’échec à la dépression il n’y a qu’un pas et Vivian Gornick eut longtemps pour habitude de marcher pour combattre la mélancolie («Pendant des années, j’ai parcouru dix kilomètres à pied chaque jour. Je marchais pour m’éclaircir les idées, pour participer à la vie de la rue, pour chasser la dépression de l’après-midi.»). Une mélancolie dont elle extirpe la signification à travers le souvenir de cet ami d’enfant, Tomas, le garçon qui se tenait toujours à part et dont toutes les femmes, elle comprise, avaient eu pour espoir de réchauffer le cœur (« … un espoir vain parce qu’aucune quantité d’amour ne peut vaincre la puissance titanesque de cette tristesse originelle. »).
La voix de Vivian Gornick nous parvient depuis New York et c’est un peu comme si, d’association en association, par le biais d’une analyse perspicace et non sans humour, on faisait un tour d’horizon de la vie de cette femme singulière qui dit avoir toujours été en quête de la bonne personne à qui parler.