Une histoire des haines d'écrivains...
« Si le public savait, se lamentent les frères Goncourt, à quel prix est acquise une toute petite notoriété et par combien d’insultes, d’outrages, de calomnies […] il nous plaindrait. ». Ainsi commence (cf. Prologue) ‘Une histoire des haines d’écrivains de Chateaubriand à Proust’ d’Anne Boquel et Etienne Kern qui relate les guéguerres entres auteurs du XIXe siècle.
Pour la plupart, les écrivains se côtoyaient à Paris et fréquentaient les mêmes lieux. Et se faire remarquer en tant que jeune auteur relevait déjà du chemin de croix (« Et pour le débutant qui n’est pas né avec une cuiller en argent dans la bouche, la route est longue, surtout s’il est provincial : une fois « monté » à Paris, il doit bien souvent se contenter de menus travaux d’écriture pour les journaux qui veulent bien de lui… » p14). Mais même lorsque le succès est au rendez-vous, les mœurs ne s’adoucissent point dans la vie littéraire, bien au contraire comme en témoigne la haine entre Victor Hugo et le critique Sainte-Beuve.
De même, quand Chateaubriand, reçoit Lamartine qui attend de la part du 'génie' des félicitations pour son poème, le Chat (ainsi nommait-on l’écrivain des Mémoires d’outre-tombe) préfère poursuivre sa sieste en présence du poète tandis qu’il le qualifiera avec dédain une fois ce dernier parti.
« Le succès des autres me gêne, mais beaucoup moins que s’il était mérité. » rapportait Jules Renard (Journal)
Quant aux femmes, elles ne sont pas en reste. A la fois sources de convoitise mais aussi croqueuses d’hommes de lettres. Dès lors que les amours tournent au vinaigre, les livres servent à régler des comptes, ainsi George Sand vis-à-vis de Musset (Elle et lui) ou encore Louise Colet (Lui) s’en prenant à Flaubert ou Musset (décidément !) ce qui fera dire (non sans humour) à Barbey d’Aurevilly qu’ils n’avaient qu’à écrire Tous ensemble.
Mais point positif, il semblerait que la jalousie entre auteurs soit à la source de leurs succès. (« cette jalousie et ces attaques sont aussi nécessaires à l’écrivain que l’air qu’il respire. La critique aiguillonne son désir de se surpasser […] de prouver définitivement sa valeur aux yeux du monde, de conquérir la gloire qui rend immortel. » p84). Ainsi Le Lys dans la vallée serait né de la haine de Balzac pour Sainte-Beuve. Ce dernier avait écrit un roman (Volupté) dans lequel il reportait ses amours avec Adèle Hugo et vis-à-vis duquel Balzac s’était mis en tête de faire mieux. De l'art de se détester à l'émulation, il n'y aurait qu'un pas.
Si au XIXe siècle, nombreux sont ceux à exercer une activité de journaliste pour gagner leur vie -la presse servait aussi la critique ! - c’est au théâtre que les écrivains (Dumas, Hugo…) font le mieux parler d’eux. Et comme l’argent reste le nerf de la guerre, il y a les auteurs qui, à force d’écrire pour les journaux, n’ont plus le temps pour leurs œuvres comme Théophile Gautier et ceux qui, enchainant les succès, sont qualifiés de « Pondeurs » (cf. Barbey d’Aurevilly). Le niveau de ventes entraine aussi des jalousies : Balzac est envieux d’Eugène Sue qui vend mieux ses romans et à prix plus élevé.
Enfin, mieux valait ne pas souffrir de ‘maladie nerveuse’ car les confrères ne vous loupaient pas : Nerval qui s’est suicidé en 1855 s’était fait traiter d’aliéné par Alexandre Dumas.
En matière de rivalité, le passage sur l’Académie n’est pas des moindres ! Rejoindre l’immortalité, c’est aussi le moyen pour certains écrivains de faire de la politique (Hugo) ou d’y gagner de l’argent (Sainte-Beuve, Balzac). Mais c’est également le lieu où se jouent autant de conflits que de flagorneries. Et, c’est sous la coupole que la littérature marque ses divisions entre une forme académique et les romans populaires (Jules Verne, Zola…).
Il arrive aussi que les engagements politiques de certains attisent les haines…
« Je suis si haï que je finirai par croire qu’il doit y avoir une raison pour cela et que je tiens probablement une place gênante dans le siècle. » V. Hugo (1866)
Si, au XIXe siècle, le monde des lettres a pu donner lieu à tant de rivalités, parmi des plumes aussi aiguisées que pleines d'esprit, voici un livre qui n'est pas dénué de drôlerie et procure un vif plaisir au lecteur !