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Lettre à un jeune écrivain... de Virginia Woolf

Publié le

Il y a un siècle (Noël 1922), Virginia Woolf écrivait à Gerald Brenan, un jeune écrivain. C’est à lui, dit-on, qu’elle aurait écrit ses plus belles lettres sur la création littéraire.

« J’ai beaucoup réfléchi à ce que vous dites à propos du roman. Il faut renoncer, dites-vous. J’ai mieux à faire qu’à écrire des romans. J’avoue ne pas comprendre. […] Vous disiez, je crois, être malheureux. Vous décriviez […] vos nuits passées à lire des ouvrages des pères fondateurs, et vos marches jusqu’à l’aube. Vous étiez malheureux et vous déchiriez tout ce que vous écriviez et aviez l’impression que jamais vous n’arriveriez à écrire – et vous compariez votre état au mien : vous m’imaginez à l’abri de toute inquiétude, enracinée, bienveillante, industrieuse – vous n’alliez pas jusqu’à dire ennuyeuse – mais en quelque sorte hors d’atteinte et, dans une certaine mesure irréelle. Dites-vous que j’ai 40 ans et que […] à 30 ans, j’écrivais, je lisais, déchirant méthodiquement ce que j’écrivais. Je n’avais pas publié un seul mot […]  J’étais au désespoir. C’est peut-être à cet âge qu’on est le plus écrivain. Et on ne peut pas écrire […] Je me demande si vous ne devriez pas abandonner votre montagne, courir le risque de vous aventurer armé de vos seules facultés humaines – amitiés, conversations, relations, les échanges simples qui font le quotidien. Pourquoi les jeunes se cachent-ils si longtemps derrière leurs livres […]

PS : J’ajoute un post-scriptum censé vous expliquer pourquoi je crois qu’il ne faut pas renoncer. Ce n’est que pas parce qu’on échoue à y parvenir que l’on obtient cette beauté à laquelle j’atteins parfois, si j’en crois ce que vous dites ; ce n’est qu’en frottant les silex les uns contre les autres, qu’en affrontant l’humiliation. […] Mais je reconnais que l’on doit renoncer à atteindre […] la beauté supérieure : celle qui vient de la sensation d’achèvement que l’on trouve dans Guerre et Paix, chez Stendhal aussi […] chez Proust. […] Même si nous sommes condamnés chaque fois à l’échec, il n’est pas possible que cet échec soit aussi total que celui que nous aurions connu si nous n’en étions qu’au début, prêts à prendre l’ensemble à bras-le-corps. Il faut renoncer, sans doute, mais une fois le livre terminé, et non avant même qu’il soit entamé. »

Virginia Woolf (Extrait de ‘Ce que je suis en réalité demeure inconnu’)

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