Histoire de la solitude
Dans l'‘Histoire de la solitude’ - De l’ermite à la célibattante', l’historienne Sabine Melchior-Bonnet explore la manière dont la solitude fut vécue à travers les siècles.
Un livre d’une grande érudition et d’une telle densité qu'il est difficile d'en faire le résumé. Dès le début, on est surpris d’apprendre que le nombre d’ermites, en France, aurait augmenté à partir des années 2000 par rapport aux années 60.
L’objectif du livre n’est pas tant de faire l’éloge de la solitude mais plutôt de dresser un état des lieux d’une population qui, au fil du temps, par choix ou non, se sera retirée du monde.
Dès la Renaissance, on remarque le lien fait entre art, solitude et mélancolie. (« Le solitaire écrit, pense, peint, refait le monde […] Paradoxe de l’artiste et de la condition humaine, la mélancolie le pousse à la solitude […] elle le rend malheureux car il a besoin des échanges, mais elle est aussi un moteur pour son travail. »).
Du côté des lettres, on note que Montaigne « reconnait que la solitude se laisse plus aisément côtoyer à partir d’un certain âge, lorsque les plaisirs de la vie se font plus rares… ».
Si, au XVIIe siècle, période des moralistes, il est plutôt de bon ton de cacher sa mélancolie, les femmes, en quête de tranquillité, trouvent refuge dans des hôtels parisiens où elles s’aménagent des ‘cabinets’, espace pour y lire et écrire. En toute solitude.
Mais plus tard, au XVIIIe siècle, le goût pour la solitude des jeunes filles, ainsi que la lecture, sera jugé dangereux par des médecins. Le Dr Tissot, dans son Traité des nerfs écrit : « Toute fille qui lit des romans à quinze ans devient nerveuse à vingt ». Du point du vue de Rousseau : « Jamais fille chaste n’a lu de roman ». Certains médecins iront même jusqu’à voir un lien entre la lecture et l’hystérie !
Souvent la solitude est compagne de la vieillesse, ainsi que le confiait Chateaubriand à un ami : « J’habite seul un grand appartement où je m’ennuie et j’attends vaguement je ne sais quoi que je ne désire pas et qui ne viendra jamais. » (Amour et Vieillesse)
Il arrive aussi que le solitaire soit un vagabond, comme on peut le lire à propos de cette histoire d'un gardien de dindons, Valentin Jamerey-Duval, qui, après avoir été chassé par son employeur, errera dans la compagne. Il frôlera la mort avant d’être recueilli par un curé qui va lui apprendre à lire. Le jeune homme fera ensuite des études et écrira ses Mémoires avant de devenir bibliothécaire du duc de Lorraine et professeur d’histoire. Parcours assez unique !
Tandis qu'au XVIIIe siècle, la solitude ne fut pas toujours bien vue, le siècle suivant lui ouvre d'autres horizons.
Au XIXe siècle, on se livre de façon intime dans l'écriture, les conflits intérieurs vont alors s'y exprimer. Pour Benjamin Constant, la solitude peut se transformer en « immense bonheur » et l’écriture devient une compagnie qui aide sortir de soi, se défouler. C’est l’ère du journal intime, de l’écriture qui répare (« Ma vie au fond n’est nulle part qu’en moi-même. »).
On se déplace seul aussi, comme Flaubert qui marche à la campagne ou en bord de mer pour rompre avec l’ennui bourgeois et écrivant à Louise Colet : « Il n’y a que seul que je ne souffre plus. » (7 juillet 1847). Retiré à Croisset pour écrire, l'auteur se plaint toutefois de souleur, une angoisse renforcée par la solitude.
Ou Maupassant qui aime partir se promener seul « Partir à pied quand le soleil se lève et marcher dans la rosée, le long des champs, au bord de la mer calme, quelle ivresse… ».
Quant à Nietzsche qui voyage, la solitude est son pays (« Ô solitude, solitude mon pays »).
Le poète, lui, tel que le rapporte Baudelaire, s’il est un promeneur solitaire, sait aussi jouir de la foule (Cf. ‘Les foules, Le Spleen de Paris). Elle le sort de sa solitude qui peut parfois se révéler néfaste.
Dans le cas d'une solitude choisie, il peut s'agir de fuir le monde, tel l'Américain Henry David Thoreau, parti vivre dans les bois et dont le livre 'Walden ou la Vie dans les bois' (1854) raconte sa vie en solitaire, loin des contraintes sociales.
Si la solitude a ses partisans au XIXe siècle, c'est aussi la période où il y a une augmentation du suicide, en particulier chez les hommes célibataires, veufs ou divorcés. Le célibat restant une calamité sociale pour les femmes, « la pire destinée pour la Femme, c’est de vivre seule. » écrira Michelet.
Vivre seul a aussi un coût, établi à 28% plus cher que pour un ménage.
Alors qu'au XXe siècle, Virginia Woolf défendra l'idée d'une chambre à soi, on se méfie de l'introspection. Sartre dira ne s'être jamais rencontré. Quant à Simone de Beauvoir, la 'vie intérieure' n'évoque pour elle rien d'autre que 'les délices croupis du narcissisme'. Kafka, auteur majeur de ce siècle, parle du 'gouffre intérieur de la solitude où cohabitent en même temps désir et répulsion...'. L'époque reflète les paradoxes de l'homme.
Au XXIe siècle, c'est à travers les écrans que l'on fait la chasse à la solitude. La sociabilité passe par les réseaux sociaux. Pour les sociologues, il s’agit d’une « solitude interactive ». Cependant, selon des psychologues « l’usage excessif, addictif, des liens numériques augmenterait chez les adolescents le sentiment de solitude… »
Un panorama passionnant de la solitude au fil de l'Histoire.
PS : le choix a été fait ici de se limiter plus particulièrement, compte tenu du thème du blog, au lien observé entre littérature et solitude.