La femme auteur
Dans 'La Femme auteur', nouvelle dans laquelle Mme de Genlis (1746-1830) y explore le sentiment amoureux, l’héroïne est victime d’une gloire soudaine suite à la publication de son manuscrit donnant ainsi une vision négative du métier d’écrivain. C’est à travers celle qui représente son double littéraire qu’elle dépeint ce qu’il en est du métier d’écrire.
A l’époque, on reprochait aux femmes qui écrivaient de devenir ‘des femmes publiques’. Mieux valait alors rester à sa place et ne pas pêcher par ambition. Trop d’exposition pouvant nuire à son image (« Quel est le premier charme d’une femme, quelle est sa qualité distinctive ? la modestie. ») il convenait pour une femme d'être prudente en ne mettant pas trop en avant son esprit. En outre, pour être respectée une femme digne de ce nom se devait d’être pudique. Encore pouvait-on écrire mais envisager la publication, surtout pas (« Comment concilier tout ce mystère de délicatesse et de grâce, ce charme intéressant d’une douceur enchanteresse et d’une pudeur touchante, avec des prétentions ambitieuses et l’éclatante profession d’auteur ? »), c'est ainsi que Mme de Genlis fait dire à la sœur de son héroïne de ne jamais imprimer ses ouvrages au risque d’avoir bien trop à perdre. Si elle se laissait aller à cette faute, ses amis se détourneraient d’elle, on la trouverait orgueilleuse… (« Vous perdriez la bienveillance des femmes, l’appui des hommes, vous sortiriez de votre classe sans être admise dans la leur. Ils n’adopteront jamais une femme auteur à mérite égal, ils en seront plus jaloux que d’un homme. ») car, en réalité, les véritables héroïnes ne peuvent être que des mères ou des épouses.
Sur les recommandations de sa sœur, Natalie, l’héroïne, se range à l’idée de renoncer à la publication se disant que « quand on satisfait une véritable passion, on peut facilement se passer de renommée. » d'autant plus qu'elle ne désirait pas la célébrité, elle ne cherchait dans l’écriture que le plaisir. Mais, débordant d’imagination, Natalie finit par écrire un roman (« Il est beaucoup plus doux, pour le cœur et pour l’esprit, de faire un roman, que d’écrire sa propre histoire : dans le dernier cas, la dissimulation est à la fois un tort réel et une contrainte qui refroidit l’imagination, et la sincérité parfaite est toujours une imprudence, et communément ridicule. ») suite à quoi il lui est proposé, grâce aux gains qu’elle pourrait tirer de la vente de son livre, de sauver des vies. Séduite par l’idée que son action pourrait libérer des prisonniers, Natalie fait publier son livre et connait le succès.
Malheureusement, sa gloire lui fait perdre l’amour de son prétendant (« … elle pensait que la gloire qu’elle venait d’acquérir augmenterait son amour ; elle se trompait. […] il l’admira davantage, mais elle devint pour lui une autre femme, et elle y perdit. »). Germeuil, l’homme qui auparavant la courtisait, ne voyait alors plus en elle l’ingénue, de plus il ne supportait pas qu’elle s’expose ainsi à travers ses écrits (« Quoi ! tout le monde à présent vous connaît comme moi ! N’est-ce pas une sorte d’infidélité dont votre amant aurait le droit de se plaindre ? Quoi ! ces sentiments si tendres, si délicats, dont l’expression faisait mon bonheur dans vos lettres, je les retrouve dans vos ouvrages ! »).
Ayant compris son erreur, Natalie analyse ce qui arrive lorsqu’une femme connait le succès (« Il y a deux ou trois mois d’enchantement pour un jeune auteur qui débute d’une manière brillante […] Voilà les charmes et les illusions d’une célébrité naissante ; ne les envions point à la femme auteur qui en jouit, on les lui fera payer cher dans la suite. »). Pour la femme auteur, une fois passé le moment de voir son art reconnu, adviennent les affres de la vie littéraire (« Qui prétend à la gloire s’engage à combattre ; aussitôt qu’on est entré dans la carrière littéraire, on ne marche plus qu’avec des rivaux qui s’élancent tous vers le même but ») avec, en corollaire, la survenue des désillusions.
A la fin de cette nouvelle, l'héroïne regrette de n’avoir pas suivi les conseils de sa sœur qui, sans connaître la célébrité d’une femme auteur, fit le bonheur de sa famille et connut la félicité.
En réalité, 'La Femme auteur' ne fait que traduire la difficulté rencontrée par Stéphanie Félicité du Crest (devenue comtesse de Genlis par son mariage), femme de lettres et pédagogue, pour se faire une place dans le monde des lettres malgré une production littéraire importante (plus de 130 œuvres). Parmi les nombreuses œuvres de Mme de Genlis, on trouve 'De l'influence des femmes sur la littérature française, comme protectrices des lettres' (1811).