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Roue libre

Publié le

En exergue de son livre, et pour donner le ton, cette citation de Francis Ponge :

"J'ai le sentiment que les autres ont raison de n'être pas de mon avis, de n'être pas moi et de ne pas m'accepter tout entier." (Pour un Malherbe)

De loin un des meilleurs livres lus en cette rentrée. 'Roue libre' (Flammarion) reprend les articles que son auteur, Cécile Guilbert, a écrit pendant deux ans (2017-2019) pour le journal La Croix ainsi que des inédits rajoutés pour être au plus près de la réalité. D'une chronique à l'autre, pourrait-on dire, on plonge dans un bain de culture qui mêle autant de points de vue que l'essayiste a su extraire de son actualité.

Avantage de ce genre de livre, on peut cheminer à sa guise, d'un sujet à l'autre sans ordre forcément établi. C'est ainsi que j'ai parcouru l'ouvrage, allant de ci de là au gré de mes envies, passant d'une chronique à propos de l'art à une autre concernant la littérature, de Charles Matton, le miniaturiste (et photographe) qui reconstitua Le Cabinet de Sigmund Freud à un texte sur Gandhi, de Karl Lagerfeld bibliomane à Mlle de Joncquières (cf. film d'Emmanuel Mouret), découvrant au fil des pages un livre ou un auteur dont personne ne parle.

Avec un grand sens de la mesure Cécile Guilbert laisse passer ses goûts et ses idées, à propos du féminisme, de l'art (fulminant contre l'exclusion de l'histoire de l'art dans notre enseignement), créant la surprise en présentant un bloggueur (1) fanatique de littérature de 88 ans ou encore en relatant l'histoire de ce mathématicien Indien, Srinivasa Ramanujan dont l'apport aux mathématiques ne fut pas nul.

La romancière et critique littéraire qui, à propos de la langue, refuse toute servitude à l'égard de ce qui pourrait l'entraver et l'annonce en ces termes : "… je ne consentirai à me faire nommer 'auteure' ou 'autrice' que quand les poules auront des dents." Rappelant, en effet, l'intérêt d'un langage fluide, simple et harmonieux (p 77).

Toujours à propos de littérature, Cécile Guilbert (elle en profite, au passage, pour nous expliquer la différence entre un auteur et un écrivain) questionne le choix qui se porte de plus en plus sur des faits (ex : faits divers) ou des personnes réelles plutôt que sur de la fiction (et des personnages) relevant par là même un déficit d'imagination. Ajoutant que les écrivains pourraient, à travers leurs écrits, être devenus des auxiliaires sociaux shootés à la moraline… (p 61).

On pourrait résumer en disant que 'Roue libre' dénonce les défauts de notre époque, tout en mettant en relief des artistes ou des œuvres dont on ne fait pas assez l'éloge. A coup d'érudition bien ordonnée, dans ce recueil de textes, Cécile Guilbert examine les élans culturels de mauvais goût, le conformisme rugissant qui rabaisse notre siècle à un bas niveau. Outre le fait que Cécile Guilbert est une plume libre mais aussi une belle plume, on ressort de cette lecture avec l'envie d'aller au-delà des fenêtres entr'ouvertes par l'auteur afin d'y dénicher des pépites.

'Roue libre' a reçu le Prix de la Critique 2020  de l'Académie française.

CDG

 

(1) Jacques Frémontier dont le blog est : https://octoscopie.wordpress.com/

 

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