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La maison du docteur Blanche

Publié le

Gérard de Nerval, Marie d’Agoult, Guy de Maupassant, Théo Van Gogh ont en commun d’avoir séjourné dans la Clinique du Dr Blanche.

C’est en 1802 que le mot ‘psychiatre’ apparait. Si les asiles d’aliénés existent, la clinique privée (qui ressemble à une pension de famille) se veut plus discrète. Quant aux médecins qui y pratiquent, ils sont dévoués, mêlant leur vie à celles des patients (« le Dr Blanche et sa femme prennent soin de leurs malades avec un dévouement de tous les instants, le jour comme la nuit. »).

Les causes d’aliénation sont diverses : abus de boissons alcooliques, amours contrariés, revers de fortune… et même lecture de roman (!!!). Le traitement va de l’éducation en passant par la responsabilisation jusqu’à la douche froide, la saignée à l’aide de sangsues (« Comme s’il fallait vider le patient de ses humeurs maladives […] les aliénistes font dégorger les malades jusqu’à l’évanouissement. »).

Esprit Blanche, qui a fondé sa clinique en 1821, attache quant à lui de l’importance aux promenades à l’extérieur ainsi qu’aux ateliers. Il sera d’ailleurs le premier à s’élever contre certaines pratiques, notamment la violence et les contraintes.

Mais ces cliniques ont aussi un coût : équivalent par an à vingt-cinq mille euros actuels. Pas à la portée de toutes les bourses ! Alors, le médecin joue parfois un rôle social quand il ne se fait pas mécène lorsque les patients sont des artistes.

A la mort d’Esprit Blanche, son fils Emile assure la relève. Il faut dire qu’il y a fait ses classes puisqu’il y travaillait déjà pendant ses études de médecine. Mais la tâche est lourde, la clinique qui compte quatre-vingt-cinq lits et une centaine d’employés est une véritable entreprise.

Gérard de Nerval qui a d’abord été traité par Esprit Blanche sera le premier patient du fils. C’est à partir du cas ‘Nerval’ que l’on pointera le lien entre folie et « génie » (« l’esprit supérieur entretient des rapports incestueux avec l’esprit malade »). C’est aussi au XIXe siècle qu’apparait la vertu thérapeutique du « récit de soi ».

Un chapitre du livre rend compte de l’importance de la musique qui fait alors partie intégrante des traitements sous le Second Empire : la Salpêtrière possède deux orgues depuis 1854 et la clinique du Dr Blanche est doté d’un piano à queue. Si la musique sert à apaiser, les bains ont aussi leur rôle à jouer. Non seulement les patients peuvent y passer des heures (dans une baignoire recouverte d’un couvercle) mais parfois même des jours entiers (« Votre chère femme a passé toute la journée dans le bain ; elle y a déjeuné et dîné. »).

Le Dr Blanche fut aussi précurseur en matière d’appartements thérapeutiques : des patients résidaient non loin de la clinique dans des maisons loués par eux « tout en étant sous surveillance médicale ». Il s’agissait pour le médecin d’étudier ces lieux comme une « transition entre l’isolement et le retour dans le monde. ».

Les patients de la clinique du Dr Blanche étaient plutôt issus d’une classe aisée. Vu le prix élevé de la pension, certains devaient y renoncer comme la mère de Charles Baudelaire qui aurait souhaité y faire entrer son fils. La réputation du Dr Blanche était telle qu’elle s’étendit même à l’étranger et que des diplomates y envoyaient leurs proches.

Dans un chapitre consacré à la folie au féminin il est décrit que 80% des femmes placées dans ces cliniques privées l’étaient par leurs pères, frères ou maris (« Parce que leur affranchissement menace l’ordre public ou trouble l’ordre familial, les femmes revendiquant leur autonomie seront taxées d’aliénées, d’hystériques, de maniaques. »). Et comme le cite l’auteur, les femmes sans maris tombent facilement sous le joug de l’aliéniste. Rappelant au passage que « le mariage […] est présenté comme le grand remède à la mélancolie. » Au XIXe siècle, la femme est soupçonnée de porter « le vice dans son sang » quand elle n’était pas rendue « folle par son sexe ». Les méthodes ne manquaient pas pour calmer ces hystériques aux yeux des hommes : « pose de plaque de métal ou de liège entre les cuisses […] ablation du clitoris […] Charcot n’hésitant pas à inventer « le compresseur ovarien » (!!!). Il arrivait aussi parfois qu’une femme soit internée, ainsi que le fut Hersilie Rouy (Mémoire d’une aliénée, 1883), par un frère voulant l’exclure de l’héritage familial.

En 1885, Emile Blanche « est mentionné comme le seul des six experts psychiatres de la Seine à exercer dans le privé ».

Ainsi que le rapporte Laure Murat, même si le Dr Blanche aurait pu établir une relation entre l’art et la folie, au regard de sa patientèle, il n’a pas pour autant livré de théorie concernant un éventuel lien entre génie et folie.

Le professeur Charcot et le docteur Blanche sont morts le même jour, le 17 août 1893.

Un récit passionnant qui nous plonge dans l’histoire de la psychiatrie privée au XIXe siècle.

 

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