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Nietzsche au piano

Publié le

En introduction de son livre ‘Nietzsche au piano’, Frédéric Pajak explique avoir été d'abord séduit par le nom ‘illisible’ de l'écrivain. Ce nom dont on se demande souvent, en l’écrivant, où placer le z.

Pour Frédéric Pajak qui a lu l’œuvre complète de Nietzsche et dont il apprécie la cadence, le style et son goût pour les moralistes français, il y a un lien entre la musique et l’écriture du philosophe allemand (« il y a dans l’écriture de Nietzsche quelque chose de profondément musical »). Selon lui, l’œuvre présente une note esthétique et donc poétique. Il assimile ses livres à des symphonies. Peut-être parce que Nietzsche était musicien avant d’être philosophe.

Le petit livre, finement illustré des dessins de l’auteur, débute par la naissance du philosophe dans le village de Röcken, en 1844. Nietzsche, alors qu’il est à peine âgé de cinq ans, perd son père, pasteur et fils de pasteur, lui-même amateur de musique. Mort qui sera suivie peu de temps après par celle de son frère. A partir de là, il vivra alors entouré de femmes (sa mère, sa sœur, sa tante…).

Très tôt, le jeune Nietzche commence à jouer du piano, accompagné par sa mère et dès l’adolescence il se met à composer. Pour lui, la musique permet d’élever l’âme. Il apprécie Bach, Beethoven, Litszt. Il veut avant tout être musicien car il place la musique au-dessus de tout.

A vingt-quatre ans il donne des cours de philologie à l’Université, c’est alors qu’il rencontre Wagner, compositeur du même âge que son père. Il trouve l’homme ardent. Une conversation a lieu entre eux à propos de Schopenhauer, autre amateur de musique.

Nietzche se met à fréquenter Wagner, même si les deux hommes ont des vies diamétralement opposées, le premier vivant modestement tandis que l’autre nourrit un goût pour le luxe. Nietzsche éprouve une grande admiration pour le musicien (« J’avais si longtemps cherché l’homme qui fut plus haut que moi… ») et il va entretenir une relation particulière avec la femme de celui-ci, Cosima, qui n’est autre que la fille de Liszt. Non seulement Nietzche idéalise Wagner mais il trouve que sa femme est « géniale », comme il dit.

Même après s’être fait remarquer en publiant son livre ‘La Naissance de la tragédie enfantée par l’esprit de la musique’ Nietzsche continue de mener une vie d’ascète car c’est ainsi qu’il conçoit la vie de philosophe.

Mais le philosophe finit par se détourner de la musique de Wagner, la trouvant trop théâtrale, lui qui déteste le théâtre. Il ira jusqu’à dire que la musique de Wagner est une névrose. Les Wagner quant à eux ne seront pas tendres dans leur jugement de la musique de leur ami.

Nietzsche rêvait d’une musique dionysiaque (il parait qu’il signait ses lettres « Dionysos ») dont on ne saurait dire exactement ce qu’il en est. Il ne considérait que la musique antique, reprochant à la musique ‘moderne’ de ne servir qu’au divertissement.

Il se pourrait que la musique ait pu exercer une fonction chez Nietzsche, comme en témoigne cette phrase dite à lui-même :

« De ma musique, je ne sais qu’une chose : elle me permet de maîtriser une humeur qui serait peut-être plus nocive si elle ne s’extériorisait pas. »

Nietzche, qui est aussi en proie à ses démons, se confiera ainsi à une amie :

« Je n’exige plus rien de la vie ; mais la vie, elle, exige encore quelque chose de moi, et à cela, je ne me dérobe pas. C’est d’en avoir conscience qui, à deux reprises, m’a retenu du suicide, que je regardais en face avec la tranquille certitude d’avoir le droit de disposer de ma vie. »

Sans doute y a-t-il eu entre Nietzsche et Wagner une forme de rivalité. Le philosophe a été blessé à plusieurs occasions par l’attitude du compositeur. Il en ressentira une douleur dans sa chair une fois la rupture consommée.

Toujours en quête d’une musique du passé, de l’antiquité, Nietzche tend vers une musique tragique. De même qu’il se dit philosophe tragique, différent du philosophe pessimiste qu’est Schopenhauer.  Ayant cru déceler un  côté ‘drame antique’ dans la musique de Wagner, il finit par n'y voir plus que le côté théâtral alors qu'il défend une musique élitiste (Nietzche se pense lui-même issu d’une élite).

Après s’être emballé pour Wagner et sa musique c’est l’opéra Carmen de Bizet qui le fera succomber.

Nietzche est à Gênes lorsqu’il apprend la mort de Wagner ; la nouvelle le laisse en état de choc.

Vient le moment où Nietzsche arrête de composer, se consacrant uniquement à ses livres. Cependant, à la fin de sa vie, il tentera encore d’obtenir la reconnaissance de sa musique (publiant une partition à compte d’auteur) sans y parvenir. Face à ce nouvel échec, il écrit dans une lette : « C’est que je suis, comme a dit Wagner, un ‘musicien raté’ ».

Et pourtant, jusqu’au bout la musique l’accompagnera, il y trouvera consolation, apaisement.

Durant l’année 1888, il écrit :  ‘Le cas Wagner’ et ‘Nietzsche contre Wagner’. Avant son effondrement à Turin, il adresse une déclaration à Cosima dans une dernière lettre. Jour et nuit, il se met au piano. Jusqu’à ce jour, le 7 janvier, où pris de démence et après s’être jeté au cou d’un cheval, il frappe son piano. Délirant, il sera pris en charge par son ami Franz Overbeck venu le chercher pour l’emmener dans une clinique à Bâle.

Dans les derniers temps, alors qu’il ne peut plus ni lire, ni écrire, qu'il est plongé dans une vie végétative, Nietzsche continuera de se montrer sensible à la musique.

Une lecture passionnante qui ne manque pas de mettre en avant l’aspect paradoxal de la personnalité du philosophe allemand.

CDG

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